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FCF-Rétrovision 3
12 avril 2012

Un Sioux reste... un Sioux

Refusant l’Interstates 80, il avait décidé de n’emprunter ce jour là que les petites routes. En l’occurrence la NE-2 W qui devait les conduire jusqu’à Alliance, d’où ils rejoindraient le lendemain Fort Laramie, au Wyoming. Ils avaient donc quitté Nebraska City au petit matin et avaient contourné Lincoln par l’Ouest. Puis ce fut le tour de Grand Island, Broken Bow, Anselmo  et Dunning.  Il y eut après  Halsey et  Thedford. Rien que des grandes capitales. De vrais trous paumés.  Ils avaient  dépassé Mullen et la prochaine ville devait être Whitman (1). Cela faisait près de cinq heures et demie qu’ils étaient en route et avaient parcouru plus de 320 miles. Whitman n’était plus très loin mais depuis un bon moment il n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil inquiets sur sa jauge à essence. Tout à coup le voyant de la réserve se mit à clignoter. Il n’était pas des plus rassurés, se sachant en bordure du Comté de Cherry, connu pour sa très faible densité de population (2). 

 _ Et merde ! Se dit-il, et toujours rien à l’horizon…

 Il leva le pied de l’accélérateur et prit son mal en patience en espérant malgré tout de voir, ne serait-ce, qu’une de ces stations plus ou moins abandonnées qu’ils avaient aperçues depuis le début de leur périple.

 C’est vrai que j’ai oublié de vous situer ce nouveau délire.  Je me dois donc de vous préciser que l’action se situe, disons en 1966 ou 1967.  Alex Santric vient de réussir son baccalauréat.  Condition nécessaire et suffisante pour que son père lui cède son Elysée de dix ans d’âge et que sa mère lui finance son séjour aux Etats Unis. Mais Alex n’a pas voulu d’un séjour tout fait. Pas par une agence de voyages. Non ! Il a décidé de traverser les States par la route, au volant de cette Aronde. C’est pourquoi nous le trouvons aujourd’hui en train de gagner la côte Ouest en traversant ce qu’il considère comme les états du Nord et qu’il reviendra sur la côte Est par les états du Sud. A ses côtés, il y a son pote de toujours, Edouard Neney. Lui aussi a réussi le bac, mais l’année précédente. Il a mis à profit les vacances de l’an passé pour travailler et mettre de l’argent de côté pour ce voyage.

 _ T’en fais pas, t’as toujours le bidon !

_ Ouais, mais quand même. J’suis con. J’aurais du faire le plein au dernier bled.

_ T’as vu la tronche du pompiste ?

_ Non, j’ai pas fait gaffe.

_ T’as bien fait. J’aurais pas voulu que tu t’arrêtes.

_ T’as eu les foies ?

_ Un peu, ouais… J’ suis toujours pas remis du western de l’autre jour.

 Faut dire à la décharge d’Edouard, qu’ils ont traversé un village où un autochtone avait voulu régler ses comptes à la Richard Widmark. Il avait fait parler ses Winchesters dans la rue ! Plusieurs corps étaient encore allongés sur la chaussée lorsqu’ils avaient traversé la bourgade. Un adjoint du sheriff local les avait priés de s’arrêter, l’arme à la main, dirigée vers la voiture, canon baissé malgré tout.  Il avait demandé à Alex de couper le moteur et de descendre de la voiture, ainsi qu’Edouard.

 Peu rassurés les deux jeunes s’étaient exécutés, se demandant ce qu’on pouvait bien leur reprocher.

 _ C’est quoi comme voiture ? Leur demanda le flic.

_ Une Simca Aronde… C’est une voiture française.

_ Vous aussi, vous êtes french ?

_ Ouais. Nous venons de Marseille.

_ Ah la french connection ?

_ Non ! Nous students… enfin, presque

_ Et où allez-vous ?

_ San-Francisco, Los-Angeles et on rentre par Dallas et Miami.

_ Drôle de petite voiture. Plus toute jeune.

_ Dix ans.

_ Bon, allez et bonne route.

  Il ne devait plus rester grand-chose dans le réservoir lorsqu’après avoir franchi un énième dos d’âne, Alex aperçut enfin une de ces fameuses stations services perdues au milieu de nulle part.

 _ Sauvés, s’écria-t-il, réveillant Edouard qui s’était quelque peu assoupi.

 Une fois la voiture arrêtée, Alex descendit pour faire le plein. Edouard en profita pour aller se soulager. Puis ce fut au tour d’Alex d’y aller.  Vu le peu de passage, l’Aronde stationnait encore devant les pompes pendant que les deux sirotaient un Coca dans la boutique.  Ils entendirent une voiture arriver, puis ralentir. C’était une voiture de sheriff.  Celle du Conté leur annonça le gérant de la station.  Elle recula puis tourna pour s’immobiliser à côté de la Simca. Ses deux occupants en descendirent et firent le tour de l’Aronde en la détaillant sous toutes ses coutures. Ils l’examinèrent une bonne poignée de minutes.

 _ Jamais vue une bagnole comme ça par ici, dit le sheriff. Et toi, en ville ?

_ Pas mieux, lui répondit son adjoint. Sais pas d’où elle vient.

 Et passant derrière la voiture, il découvrit le F dans son ovale.

_ Doit venir de France d’après la plaque.

Le sheriff souleva son Stetson pour se gratter la tête. Cette voiture l’intriguait.

 _ Entrons voir à qui elle est.

_ L’est à vous la voiture, dehors ? Lança-t-il aux deux jeunes buvant leur Coca ;

_ Ouais, c’est la mienne, répondit Alex dans son anglais de cirque, comme n’avait de cesse de lui rabâcher à chaque cours son prof de langue qu’il dut affronter pendant ses trois années de lycée.

_ C’est quoi comme voiture ?

_ Une française…  Une Simca.  Elle a dix ans.

 … C’était reparti pour un tour. Alex et Edouard devaient prendre leur mal en patience, tant la curiosité des forces de l’ordre était grande devant l’inconnue. Mais pour une fois ce sheriff n’essayait pas de les intimider. Au contraire, ils ressentaient un véritable intérêt pour l’Aronde. De la curiosité même.

 _ Vous êtes français ? Leur demanda le sheriff.

_ Ouais, des environs de Marseille.

_ Ben moi, j’ai mon arrière-grand père qui était français… Typé amérindien le sheriff se présenta:  Bill Boquet IV, leur dit-il en leur tendant la main.

 Et nos deux compères d’éclater de rire avant de se reprendre et de lui serrer la main.

 _ S’excusez-nous !

_ Z’êtes bien frenchies… Z’en faites pas les gars. Y a que vous pour comprendre le jeu de mots. Bienvenue dans les Sand Hills. Vous allez où exactement ?

_ A Fort Lamarie pour …

_ Pouvez pas mieux tomber. J’ vous invite chez moi pour la nuit.

_ ???

_ Mes ancêtres ont vécu longtemps là-bas et dans ses environs. Je vous raconterai leurs vies.

_ D’accord… On vous suit. 

 Puis avisant l’air dépité du sheriff, Alex lui proposa… Vous voulez la conduire ?

Le sheriff ne se fit pas prié et s’installa au volant, Alex prit place à ses côtés pendant qu’Edouard s’installait dans la voiture du Sheriff.

 Après diner, Bill Boquet IV leur raconta l’histoire – ou plutôt – ce qu’ils prirent pour la légende de son arrière grand-père. Celui-ci s’appelait déjà William Boquet. Il descendait d’une vieille famille française dont une branche existe encore en France et dont un lointain neveu était il  y a encore quelque année garagiste… Ce William Boquet avait émigré au Canada vers la fin des années 1820, où il était devenu trappeur. Il avait un jour franchi les Grands-Lacs pour découvrir de nouveaux horizons et avaient traversé à plusieurs reprises les grands espaces des deux Dakota et du Nebraska. Là il abandonna la trappe pour se lancer dans le négoce des peaux auprès des tribus indiennes Sioux et Lakota.

 C’est ainsi qu’un matin, alors qu’il approchait d’un campement  qu’il connaissait depuis trois printemps, il s’arrêta au bord d’une rivière pour s’y laver. Il avait découvert quelques années plus tôt que l’odeur des trappeurs incommodait les indiens et ne favorisait pas les affaires. Il avait pris l’habitude de prendre un bain juste avant de les rencontrer et de porter des vêtements propres. Il descendit de son cheval et l’attacha à un arbre. Il vérifia aussi que les trois mules qui l’accompagnaient étaient bien attachées. Il sortit du linge de corps propre d’une de ses fontes et se dirigea vers la rivière. Il se dévêtit entièrement et s’apprêtait à entrer dans l’eau lorsqu’il aperçut une jeune squaw qui se baignait déjà dans l’eau, lui révélant ses formes agréables. Il resta un instant à la regarder, puis chercha un autre trou d’eau où se laver. Il profita de ce qu’elle regardait ailleurs pour se glisser dans l’eau et commença à se savonner. Puis il lança son savon sur la berge. Celui-ci fit pourtant très peu de bruit à l’arrivée mais suffisamment pour inquiéter la squaw. Laquelle découvrit William, flamberge au vent. Elle eut un geste de recul et s’apprêtait à crier. Mais elle ne dit rien. Se contentant de le regarder…

 _ N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur ! Je suis français ! Lui lança William en levant les mains.

_ Papeur ? Papeur ? (3) parvint-elle à marmonner.

 Et pour montrer qu’il n’avait pas d’armes cachées, il se mit à sauter hors de l’eau et à tourner sur lui-même. Lorsqu’il se retrouva face à elle, il s’accroupit dans l’eau. C’est alors qu’elle entreprit le même type de danse devant lui.  Séduit il se releva et lui tendit les bras. Bras dans lesquels elle se jeta rapidement. Ils se serrèrent l’un contre l’autre. Puis il la souleva et elle lui enserra le corps de ses jambes. Ils s’unirent ainsi. Un mince filet rouge vint tinter l’eau de la rivière. Quand tout fut consommé ils entendirent des cris de joie et des coups de fusils provenant des bosquets voisins.

 C’étaient les gardes du corps de la fille préférée de Crazy Horse qui manifestaient leur joie. Faut dire que Crazy Horse avait des visées matrimoniales pour sa fille mais que celle-ci avait toujours refusé les prétendants que son père lui présentait. Soutenue par sa mère, elle avait toujours dit non. Vu que c’était le français qu’elle voulait depuis le jour où elle l’avait aperçu lors de sa première venue. Elle venait d’avoir 13 ans, lui devait avoir passé la barre des 25 lorsque William Boquet était venu pour la première fois rencontrer Crazy Horse et entamer son négoce de fourrures avec lui.

 Bill Boquet IV leur raconta que son arrière grand-père s’était établit près de Fort Laramie et était devenu transitaire en bordure de la piste Bozeman. Il avait assisté à la signature du traité de 1868 mettant fin aux guerres entre indiens et yankees.

 Belle légende qui les berça toute la nuit où ils révèrent à de belles squaws, mais aussi à Sitting Bull et autre Crazy horse. Des indiens célèbres…

  .........

 _ (1) Whitman serait considéré en France comme un lieu-dit, un hameau de la ville de  Grant County, forte d’un peu plus de 700 habitants !

_ (2) d’un peu plus de 6.000 habitants pour plus de 15.000 km2 de superficie, perdus dans les Sand Hills.

_ (3) Ce surnom de Papeur lui resta coller à la peau jusqu’à sa mort.

 

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